J’ai gradué en physiothérapie de l’Université Laval en 2001 et je suis encore convaincu à ce jour d’avoir reçu une excellente formation. Mais comme tous mes collègues, j’avais le goût de devenir meilleur. À l’époque, le chemin était déjà tracé pour ceux qui allaient travailler en clinique privée avec une clientèle adulte musculosquelettique (MSK). Il fallait s’inscrire au programme canadien de thérapie manuelle. Ma conception et ma compréhension était que grâce à des mains entraînées, j’aurais du pouvoir sur les pathologies de l’appareil locomoteur et j’avais hâte de rencontrer Élaine Maheu, Doreen Killens et François Landry!

Assez rapidement, après quelques mois de pratiques et quelques cours, certaines de mes conceptions avaient déjà évolué mais je n’étais pas déçu. On m’avait vite fait comprendre que ce que je faisais avec mes mains devait être accompagné d’explications et d’exercices. On m’avait aussi vite fait comprendre que ces exercices devaient être en lien avec les déficiences identifiées, les incapacités des patients qui lui étaient significatives de même que ses attentes. Autrement dit, j’avais compris que la thérapie manuelle à elle seule pouvait occasionnellement offrir un petit bijou de résultat rapide et durable pour certains patients mais que dans la grande majorité des cas, elle agissait comme catalyseur au mouvement actif et offrait une fenêtre d’opportunité à tout le reste du traitement. Est-ce qu’il reste encore des physiothérapeutes qui n’ont pas encore compris cela en 2021?

Comme vous tous, au cours des 5 dernières années, j’ai été témoin des critiques acerbes qu’ont manifesté certains de nos collègues dans les médias sociaux, des blogues ou des podcasts, à l’endroit de la thérapie manuelle et de ceux qui la pratique. Moi qui enseigne cette approche depuis plusieurs années, j’ai été particulièrement sensible et à l’écoute des arguments avancés. Je vous confirme qu’en ce qui concerne la thérapie manuelle, je n’ai rien appris d’eux étant donné que des chercheurs présents dans les congrès internationaux avaient déjà abordé ce sujet, ces derniers apportant toutefois beaucoup plus de nuances, de finesse et de prudence dans l’interprétation des résultats de leurs propre études.

Depuis vingt ans, nous comprenons de mieux en mieux les mécanismes, les forces, les faiblesses et les pièges potentiels de la thérapie manuelle. D’ailleurs, nous nous efforçons d’intégrer ces connaissances à nos cours car bien que l’utilité de la thérapie manuelle soit généralement acceptée, il est vrai que notre conception de celle-ci a énormément évolué. Heureusement!
S’il est vrai que d’apprendre la thérapie manuelle dans un modèle bio-psycho-social est long et exigeant, il est aussi vrai que de compléter un tel curriculum apporte énormément de savoir, de savoir-faire et de savoir-être, particulièrement si l’on souhaite apprendre et consolider les meilleures pratiques en physiothérapie MSK. La valeur accordée à cet effort est par conséquent très importante. Bien au-delà de l’acquisition et du perfectionnement de techniques d’évaluation et de traitement, beaucoup de temps est en effet consacré au raisonnement clinique, à la pensée critique, aux innombrables pathologies et à leur prise en charge optimale de même qu’au partage d’expériences cliniques. Est-ce que de tels programmes sont parfaits et complets, bien sûr que non et c’est pourquoi nous encourageons tous les physiothérapeutes à compléter leur coffre à outils avec d’autres cours spécifiques, comme nous l’avons tous fait et continuons à le faire.
Revenons aux critiques formulées par les tenants des approches «hands off». Il est intéressant de réaliser que ces physiothérapeutes, ayant tous une forte personnalité, ont souvent par le passé, malheureusement pas toujours, eux-mêmes complété plusieurs cours dans divers curriculums de thérapie manuelle à travers la planète. Aussi, plusieurs d’entre-eux ont maintenant des écoles de formation basées sur l’acquisition de connaissances théoriques, certes utiles, mais où la pratique et la rétroaction sont absentes. En contrepartie, leurs «followers» ont rarement complété un curriculum en thérapie manuelle, ce qui en fait de parfaits supporteurs puisque qu’ils se font dire que ce n’est pas nécessaire pour être compétent. Serait-ce donc suffisant de «connaitre» pour offrir une qualité de soins supérieure?

Il faut bien sûr reconnaître l’effort intellectuel de ceux qui critiquent la thérapie manuelle. En effet, il est nécessaire de passer de nombreuses heures à arpenter la littérature pour ensuite transférer ces connaissances. Malheureusement, personne n’est exempt de biais puisque c’est totalement humain. Conséquemment, il est intéressant de constater qu’ils sont très critiques à l’endroit des articles et des auteurs suggérant l’utilisation de la thérapie manuelle alors qu’ils deviennent plutôt complaisants à l’endroit des articles et des auteurs la rejetant, peu importe la robustesse des conclusions. Remarquez que ce phénomène existe chez tous ceux qui suggèrent l’utilisation d’une approche unique. Ce comportement normal n’excuse cependant pas l’absence de doute et de nuance lorsque ces personnes tirent à boulets rouges sur l’approche de thérapie manuelle et ceux qui l’exercent. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, les conclusions concernant la recherche sur la thérapie manuelle sont généralement assez faibles et les raisons expliquant ces faiblesses sont nombreuses et connues (Oostendorp R, 2018) (Cook C. et Thigpen, 2019). Parmi ces raisons, notons l’énorme défi qu’est le contrôle de la variable «thérapie manuelle». Notons d’ailleurs que toutes les variables relatives au modèle biopsychosocial sont difficiles à contrôler et qu’aucune approche de traitement unique ayant été étudiée avec une méthodologie robuste n’a démontré un effet important. Normal direz-vous?
Parmi les critiques les plus couramment exprimées à l’égard de la thérapie manuelle, mentionnons l’effet de celle-ci qui serait minime et de courte durée. Également, il est souvent mentionné qu’elle aurait un fort potentiel d’effet nocébo et que la précision technique n’aurait aucune importance. Enfin, on résume souvent la situation en soulignant que le rapport coût-bénéfice serait très élevé, que la formation est longue et que ça coûte cher. Bref, tout pour plaire à l’esprit d’un clientélisme qui n’aurait jamais complété un curriculum post gradué intégrant la thérapie manuelle dans ses approches de traitement. Pour fin de réflexion, revoyons ces arguments un à un.
L’effet de la thérapie manuelle est minime de de courte durée.
Lorsque l’effet est mesuré sur l’ensemble du processus de réadaptation, c’est normal et même souhaitable! En effet, aucun patient ne souhaite être dépendant de son physio. En contrepartie, à l’intérieure d’une même séance, l’effet devient soudainement très important et c’est précisément ce qui devrait être recherché si l’objectif est de permettre au patient de prendre le relais avec confiance et sans douleur. C’est précisément cette combinaison qui permet aux patients de faire des gains plus rapides et souvent durables, diminuant ainsi le délai de retour aux activités. Il est à noter que cet aspect, bien que très important pour les patients, est peu investigué puisque les études les plus robustes considèrent davantage les effets à long terme, c’est-à-dire, 12 à 24 mois, alors que les effets à court terme ne reçoivent pas la même considération. Or, il est important de souligner que selon le prestigieux groupe Cochrane, un effet à court terme correspond généralement à l’effet observé à un mois post traitement, ce qui n’est pas si court aux yeux des patients. Parallèlement, un des objectifs fréquents en recherche est d’isoler les variables à l’étude et de réduire les biais méthodologiques au minimum. Ce qui est légitime mais dans ce cas, l’auteur conclura souvent à un effet minime et de courte durée. Encore une fois, ce type de conclusion plaira assurément aux tenants des approches «hands off».
À cet effet, s’il est vrai que dans la plupart des cas, l’effet de la thérapie manuelle comme modalité unique n’est pas durable dans le temps, qu’en est-il des exercices dits «thérapeutiques» lorsque les patients cessent de les exécuter? Que ce soit des exercices de mobilité, de souplesse ou de renforcement, vous savez que si le patient ne modifie rien au niveau fonctionnel dans son quotidien, aucun effet ne sera maintenu dans le temps, peu importe la modalité choisie. Est-ce qu’il faut bannir les exercices thérapeutiques pour autant? Bien sûr que non puisqu’ils sont des facilitateurs aux changements fonctionnels tout comme l’est la thérapie manuelle.
La pratique de la thérapie manuelle a un risque élevé de créer un effet nocébo.
Ici, c’est assez simple, tout réside dans le discours et les échanges du clinicien avec son patient. Les expressions et les explications à ne PAS utiliser sont nombreuses et connues. En effet, nous ne replaçons pas les os. Par contre, le fait que nous améliorons la tolérance des tissus au stress mécanique par une désensibilisation doit être expliquée aux patients. Une discussion franche sur les effets de la thérapie manuelle facilitera d’adhésion des patients aux exercices suggérés. Un peu comme le ferait une approche de type «Mechanical Diagnosis and Therapy» (MDT) mais de façon différente. Également, lors de l’application de la thérapie manuelle, il est très important que notre patient comprenne les liens mécaniques avec ses incapacités. Par exemple, chez une kayakiste, si j’effectue une technique vertébrale pour améliorer la rotation gauche à une région du thorax, je dois créer verbalement une association entre cette technique et le mouvement fonctionnel à améliorer. La durée de cette technique ne sera que de quelques minutes et sera obligatoirement suivi d’exercices actifs. De cette façon, avec un peu de pratique et de supervision, l’effet nocébo peut être facilement éliminé et l’autonomie du patient n’est pas affectée.

La précision technique et la spécificité en thérapie manuelle est inutile.
Il est généralement admis de tous que la précision dans l’exécution d’un test offre une meilleure validité du résultat obtenu. Cet apprentissage technique ne vient pas seulement avec la connaissance mais également avec la supervision, le temps et la pratique, ce que semblent ignorer ou négliger les physiothérapeutes qui s’opposent aux approches «hands on». D’ailleurs, les patients reconnaitront la maitrise de l’approche manuelle thérapeutique lors de la performance des tests administrés, de même que lors des traitements, quoiqu’en disent les études effectuées sur de grands groupes. Donc, peu importe les approches que vous utiliserez, sachez les maîtriser car les patients sauront détecter votre niveau d’expertise, que ce soit en évaluation ou en traitement. Ça aussi, ça fait partie de l’alliance thérapeutique.

La thérapie manuelle offre un rapport coût/ bénéfice élevé.
Malheureusement, l’élément coût n’est pas toujours défini par les tenants des approches 100% «hands off». S’il s’agit du coût monétaire associé aux formations en thérapie manuelle, cet argument ne tient pas la route puisque le coût par jour de formation est parmi les plus bas. S’il s’agit de la durée des curriculums de formation, il est vrai que ces curriculums sont souvent longs et exigeants mais, puisqu’il est important d’aborder la thérapie manuelle dans un modèle bio-psycho-social centré sur le patient, elle ne peut être enseignée seule. C’est pourquoi ces curriculums intègrent des notions de raisonnement clinique, de recherche, de neurosciences de la douleur, de prescription d’exercices, etc. Également, afin de mieux intégrer les divers éléments d’une prise en charge optimale en physiothérapie MSK, un nombre important d’heures de supervision clinique est exigé et la valeur accordée ces heures est souvent jugée inestimable par les physiothérapeutes qui ont complété ce parcours. Il faut par conséquent permettre au temps et à la pratique de faire son œuvre. Enfin s’il s’agit du temps passé en clinique pour obtenir des résultats, là encore, il serait faux d’affirmer que le coût est élevé. En effet, il ne suffit très souvent que de quelques minutes de mobilisations, ou même une seule manipulation, pour permettre à notre patient(e) d’exécuter ses exercices avec plus de confiance et de confort. Ainsi, il obtient rapidement la sensation de retrouver du pouvoir et du contrôle sur son état et de nouvelles possibilités fonctionnelles s’offrent à lui. Quant à l’importance des bénéfices, qu’ils relèvent du court terme importe peu à partir du moment où ils permettent d’améliorer le potentiel des exercices actifs et que le patient est plus fonctionnel, plus rapidement.

Il y a quelques années, lors d’un échange sur la thérapie manuelle avec mon bon ami Blaise Dubois, ce dernier affirmait qu’au Québec, on faisait trop de thérapie manuelle. Je lui avais demandé combien de thérapie manuelle serait alors suffisant. Il m’avait très bien répondu en disant simplement : «le moins possible»… bien sûr! Mais n’est-ce pas aussi vrai pour n’importe quelle approche thérapeutique puisque ça voudrait dire que les patients n’auraient plus besoin de nous?
En terminant, si la physiothérapie actuelle n’a pas eu besoin de «troll» pour optimiser son utilisation de l’électrothérapie, pourquoi en aurait-elle besoin pour optimiser son utilisation de la thérapie manuelle? La recherche abonde sur le sujet et aucune conclusion robuste ne suggère son abandon. Plutôt, elle suggère d’y apporter quelques ajustements que la majorité d’entre-nous avons déjà fait et continuerons à faire. Favorisons l’intégration des connaissances autour d’un modèle centré sur le patient plutôt que la polarisation. L’histoire nous a déjà montré où les approches dichotomiques peuvent mener…
