Quelle approche faut-il privilégier ?

Bien sûr, on ne peut être contre la vertu.  Je qualifierais de « noble » l’objectif de vouloir prévenir les affections NMS.  Mais qu’en est-il réellement de cette possibilité ?  Peut-on prédire l’avenir sur la base de tests cliniques en physiothérapie ?

D’aucun feront la comparaison du « check up » chez le dentiste, chez l’optométriste ou même chez le garagiste.  Alors pourquoi pas chez le physiothérapeute ? La question semble pertinente…puisque plusieurs chiros et ostéo offrent ce type de service.

Pour ce qui est de votre véhicule, domaine de l’usure et du non-vivant, il apparait évident que l’entretien régulier et le changement de certaines pièces comme les freins permettent de prendre la route de façon plus sécuritaire.  Également, il semble que le dépistage en optométrie et en dentisterie ait aussi démontré son caractère préventif d’affections plus sérieuses1,2.  Pour ce qui est de la médecine, le bilan annuel systématique ou examen médical annuel a été mis au rancard pour la population en santé (sauf exception) il y a quelques années puisqu’il a été démontré qu’il n’était pas justifié de la faire3. Il a plutôt été remplacé par la Fiche de prévention clinique4 qui aborde principalement les facteurs de risque et les programmes de prévention génériques ayant démontré leur efficacité.

Est-ce qu’une évaluation NMS dite préventive est utile et nécessaire pour une population asymptomatique et en santé ou est-ce que l’implantation de programmes d’exercices simples accompagnés d’une meilleure gestion des facteurs de risque et d’une meilleure hygiène de vie suffirait ?

À cet effet, il existe quelques exemples d’outils préventifs intéressants pour certains troubles NMS chez certaines populations spécifiques. Entre-autres, le Programme Pied pour la prévention des chutes et des troubles d’équilibre chez les 65 ans et plus a démontré son efficacité5,6.  Il en est de même pour certains programmes fonctionnels7,8,9 chez des populations sportives qui semblent réduire le risque d’entorse au genou et à la cheville ainsi que les blessures à l’aine. Mentionnons également les programmes de course à pied fractionnés permettant un meilleur dosage du stress mécanique et qui pourrait réduire la prévalence des blessures aux membres inférieur, particulièrement chez les coureurs débutants.  Soulignons qu’il s’agit ici de programmes d’exercices génériques et non d’évaluations spécifiques ayant un objectif de prévention.

En ce sens, certaines batteries de tests comme le « Functional Movement Screening » (FMS) ont échoué dans leur tentative de validation pour la prévention des affections NMS10 alors que le « Selective Functional Movement Assessment » (SFMA), du même auteur, n’a jamais été proposé comme outils de prévention.  Nous savons aussi que nos tests cliniques comme l’évaluation de la posture, de la mobilité articulaire, de la souplesse et de la force ne sont habituellement pas des indicateurs valides du risque de développer des affections NMS pour une population générale asymptomatique11,12.

Est-ce qu’une évaluation préventive pour certaines activités sportives ou fonctionnelles spécifiques demeure pertinente ?  La littérature actuelle11 semble indiquer que non malgré que la demande de certains sportifs et athlètes pour ce type de service semble augmenter. Toutefois, tout porte à croire qu’une application optimale des principes d’entraînement, comme par exemple la charge et le volume, sont non seulement garant d’une bonne performance mais aussi d’une diminution des risques de blessures.

Que reste-il alors comme outils préventif des affections NMS ?  La recherche nous offre quelques pistes de réponses et celles-ci résident principalement dans l’identification et la gestion de certains facteurs de risques10 intrinsèques et extrinsèques validés quant à leur capacité de prédire et donc, de prévenir.

Par exemple : la sédentarité et l’obésité, le tabagisme, les troubles du sommeil, les antécédents de blessures, les co-morbidités comme l’hypertension, le diabète et l’hypercholestérolémie, l’hyperlaxité généralisée, la fibromyalgie, etc.  Ajoutons à cela plusieurs facteurs de risque d’ordre psychosocial comme l’anxiété et la dépression, de même que ceux reliés à l’environnement et à la nature du travail ou des activités physiques et sportives pratiquées. Une meilleure gestion des agents stresseurs serait donc la clé.

Évidemment, il est de notre devoir d’aborder ces thèmes avec nos patients lors d’une prise en charge pour une affection NMS et le travail en amont devrait être la responsabilité de tous les acteurs de la santé dont, notamment, les professionnels de la physiothérapie, et même les parents !

Bref, l’identification et la gestion des facteurs de risque sont certes des voies d’avenir dans la prévention des affections NMS et de nombreuses autres pathologies.  Par contre, les évidences suggèrent actuellement de ne pas utiliser comme outils préventifs, les tests cliniques servant à identifier les déficiences et les incapacités de nos patients asymptomatiques11,12.

Conséquemment, prétendre le contraire sans processus de validation approuvé soulève des questions légitimes.  L’adage « don’t fixe it if it’s not broken » ne s’oppose pas à l’identification et la gestion des facteurs de risque mais plutôt à l’identification et au traitement des déficiences mécaniques asymptomatiques.  Le concept de physiothérapie familiale spécialisé en prévention m’apparait donc actuellement être une idée intéressante mais la détection des incapacités latentes est une prémisse discutable et non validée11.

Est-ce que le travail initial des professionnels de la physiothérapie ne devrait pas être d’abord d’évaluer, traiter et prévenir les affection NMS chez une population symptomatique et présentant des incapacités ? Je pense que oui. Je pense aussi qu’un des rôles importants que nous devrons mieux explorer concerne la notion de pronostic chez des patients symptomatiques ET asymptomatiques. S’il semble difficile de prédire avec précision les blessures futures d’un individu, peut-on tenter d’identifier les éléments pronostics?  Certains outils comme le «Start Back Screening Tool»13 nous offrent des pistes de réponses intéressantes pour les patients présentant des lombalgies et l’avenir s’annonce prometteur. Celui-ci est d’ailleurs basé sur l’identification des facteur de risque.

À l’ère de la collaboration interprofessionnelle, le travail en amont pour une population asymptomatique est souhaitable et nécessaire mais il revient peut-être autant à d’autres professionnels comme les entraineurs, les kinésiologues et les enseignants d’éducation physique par exemple.  Et le rôle des médecins de famille dans tout ça ?  Pourquoi ne pas se pencher plutôt sur un concept d’infirmière de famille et de kinésiologue de famille qui prendraient réellement en charge celles-ci avec leurs facteurs de risque plutôt que chaque individu séparément ?  Et qu’en est-il de notre tolérance au risque ?  Je dépose la question comme ça…